je voudrais que tu me pardonnes, si tu peux, que tu me pardonnes pour ce que j'ai dit avant, pour cet accès de culpabilité et de défaitisme, je voudrais que tu m'excuses d'avoir douté de toi, de nous et de nos beaux efforts, de notre foi et de notre profondeur, de notre ampleur et de notre classe -
(je voudrais, s'il te plaît)
- mais il faut que tu comprennes, j'avais deux chiens aux trousses, des chiens, des fils de chiens, ils ont essayé de me tuer, ils y sont presque arrivés, ils en voulaient à ma gorge, à mon coeur qu'ils voulaient tout saignant bien arraché à ma poitrine, ils voulaient tout prendre puisqu'ils n'avaient rien.
alors voilà, j'ai eu un instant, une heure de faiblesse, mais ça va mieux, c'est passé.
je voulais que tu le -
- les chiens, quand même, les fils de chiens, ils essaient quand même, hein, ils nous en veulent, ils t'en veulent, ah la la, le malheur, l'infini de la médiocrité, putain c'est dur de résister, de garder en soi, bien enfermé, le vtk qui sommeille, dur de ne pas leur en mettre une en pleine tête (grégory qui veut qu'on aille faire du tir ensemble à bastille, je ne sais pas si c'est une bonne idée, finalement, vtk pourrait se réveiller)
- et le petit gars tout moche qui te regarde avec ses yeux de fouine et ses pellicules sur les épaules et ses dents toutes noicies par les cigarillos et qui veut te donner une leçon de morale, ah, j'ai la gerbe, la haine en eux qui passe en moi, qui essaie de se frayer un chemin d'eux en moi, le gars qui a abandonné le cinéma parce qu'il n'avait pas les couilles, qui est prof et qui se cache maintenant derrière sa petite morale,
- et la khmer rouge qui veut te flinguer en te donnant une leçon d'esthétique ET de morale, ah lala, la misère de ces deux-là réunis, mais les gars, vous êtes, vous êtes -
(et soudain je repense à "j'ai tout" : larves, brins d'herbe, crachats...........)
(et je dois dire que "j'ai tout" est le texte le plus hallucinant, le plus beau, le plus irréfutable que j'aie entendu de longtemps.)
mais la haine quand même, tu la mesures, là, tu la vois, tu la vois bien, toute nue.
le problème, le vrai problème avec ces gens, avec eux et ceux de leur espèce, c'est qu'ils essaient de faire sortir le pire en toi. leur but du jeu à eux dans la vie c'est ça.
et je dois dire un mot, plus d'un mot même, des amis qui m'ont sauvé aujourd'hui : il y a d'abord eu nathalie ; et puis ensuite il y a eu cédric.
(il faut parler d'eux, parce qu'ils sont ceux qui empêchent vtk de se réveiller, c'est grâce à eux, parfois c'est grâce à amélie, parfois patricia, parfois nicolas, parfois - il y a toujours un ami qui me sauve, par-delà la solitude irréductibale et crasse, par-dessus la misère qui me salope la tête, parfois c'est adam, ça dépend, parfois c'est thomas et la façon dont il travaille sur mon film, dont je le vois travailler, en tout cas, il y a toujours quelqu'un, il y a toujours quelqu'un qui me sauve, c'est ça que je voulais dire, donc merci, merci pour ces opérations de sauvetage secrètes et méconnues, merci mon dieu d'avoir mis sur mon chemin des gens bons à côté de gens si mauvais, c'est ça la chance que j'ai, on n'imagine pas la chance que c'est de connaître ces gens et ces moments-là, ça rattrape tout, merci merci merci.)
sinon je serais mort. les chiens, fils de chiens, ils m'auraient eu, là, à la gorge, ils m'auraient eu, bien eu, là comme il faut, bande de -
("j'ai tout", je repense à "j'ai tout", à jean-damien, lui qui brûle, que personne ne sauve parce que quand même pour être sauvé il faut - j'ai bien peur pour mon ami, parce qu'à la pointe, là où il travaille, là où il
vit, ça brûle, ça brûle comme dirait cette connasse de claire simon, et j'ai peur qu'il brûle, mon ami, qu'il se consume.)
cédric, mais c'était trop beau ce qu'il disait : alors quoi, il faudrait ne rien tenter, juste se rouler en boule et mourir (j'extrapole), il faudrait juste faire les petits films qu'on a le droit de faire, c'est ça ?
(et là, je crois que c'est la première fois que j'ai compris, la première fois depuis que je travaille avec château-rouge, la première fois depuis quoi, depuis quand on se connaît ? la première fois, disais-je, que je comprends le sens du travail qu'ils mènent, ces gens, ces gens de château-rouge, je pense qu'ils ne le savent pas eux-mêmes, ou alors peut-être qu'ils le sentent, confusément, parfois, et walter, toutes ces années, tous ces mois bout à bout qui finissent par faire des années, et c'est seulement maintenant, avec cette petite phrase agacée, que je comprends le sens de ce qu'ils font - et ce qu'ils font, c'est beau.)
et cédric qui continue: et alors, on fait quoi si on écoute ces chiens, ces fils de chiens (j'extrapole), on fait juste les films qu'on a le droit de faire, les films qu'on nous donne la permission de faire, on filme des gens qui se parlent dans un appartement - oui je sais, il n'y a pas que - mais tu vois, on fait catherine corsini, quoi, c'est ça qu'on fait, en somme, c'est à ça qu'on peut prétendre, dit cédric (j'extrapole), on fait marion vernoux, sophie fillières (il faut que j'arrête de citer des réalisatrices parce qu'on va croire que je hais les femmes, alors que je hais juste ces femmes-là - et encore, je hais surtout les films qu'elles font, mais je pourrais citer aussi leurs petits copains, bon c'est pas la peine, t'as quà aller sur kühe
ici) -
en somme, c'était beau, ça m'a sauvé des chiens, entre ça et nathalie, j'ai retrouvé le sourire et ça c'est pas rien, on a eu chaud, voilà.